AFPA – L’immersif au service des premiers niveaux de qualification
Interview avec Magali SIREROLS, Directrice Régionale de l’Ingénierie et de l’Innovation à l'AFPA pour la région PACA – mars 2023 |
Magali SIREROLS, de l'AFPA partage ici son retour d’expériences sur un projet utilisant la réalité virtuelle pour revisiter des parcours de formation de niveau de qualification 3 et 4. Pilote du projet, elle retrace les grandes étapes et leviers pour parvenir à embarquer les parties prenantes. Elle revient sur l’accompagnement nécessaire pour l’adoption des technologies immersives ainsi que sur l’intégration progressive de la modalité «immersive ».
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer ce qui vous a motivée à entreprendre un projet intégrant des technologies immersives ?
Je suis Directrice Régionale de l’Ingénierie et de l’Innovation pour la région PACA. J'ai un parcours universitaire en tant qu'enseignante-chercheuse en sciences cognitives. Mon rôle implique le déploiement des innovations en interne, ainsi que la promotion de l'AFPA et de sa capacité d'innovation à échelle régionale.
Le projet dont nous parlons est particulier, car j'assurais temporairement la direction de l'AFPA d'Istres, avec pour objectif de repositionner ce centre pour lui permettre de rayonner à nouveau sur le territoire.
Nous avons travaillé en partenariat avec des universités et un laboratoire appelé "Immersive-CoLab", lui-même lié au CNED et à des laboratoires de recherche. Nous nous sommes demandés comment utiliser les technologies immersives pour innover dans le domaine de la formation, notamment pour les métiers de niveaux de qualification 3 et 4 dans les secteurs de l’industrie, des services à la personne et de la restauration.
Nous avons décidé de répondre à un appel à projets dans le cadre d’un PRIC (Pacte régional d’investissement dans les compétences) et avons obtenu un financement de 400 000€, avec un pilotage de Pôle Emploi sur un projet visant à mesurer notre capacité à intégrer les technologies immersives. Nous avions conscience du défi que cela représentait, notamment en termes de complémentarité avec nos outils numériques existants, et particulièrement en regard de notre plateforme METIS qui est déjà performante.
Soucieux d’explorer la modalité dans sa globalité, nous avons collaboré avec des chercheurs qui ont étudié l'effet de Latour sur l'avatarisation. En effet, l'avatarisation est un concept qui permet aux utilisateurs de s'identifier à un avatar dans un environnement virtuel, créant ainsi une expérience immersive unique. Nous n’avons pas occulté les potentiels risques d’addiction chez les utilisateurs, compte tenu des éléments sensoriels et émotionnels qui n'existent pas dans les interactions homme-machine conventionnelles.
Notre pari était donc de tirer parti de l’immersion pour transformer l'apprentissage, en commençant par une première étape de protocoles expérimentaux sur ce qu’on gagne et sur ce qu’on perd. On remarque que les apprenants sont complètement désinhibés. Par exemple sur l’apprentissage des langues, quand c’est mon avatar qui parle, j’ai moins de gêne.
Nous décidons alors de passer à la modalité immersive.
Nous nous engageons actuellement sur 20 % du parcours de formation total, car nous devons y aller progressivement pour permettre aux formateurs et aux apprenants de s’approprier la modalité. Nous avons en outre opté pour un mélange de formation à distance et en présentiel, pour éviter l'isolement total.
Les formateurs ont collaboré avec Immersive CoLab pour concevoir 20 % de leur formation en utilisant la réalité virtuelle. Ils ont reproduit des plateaux de formation, cela a été rassurant pour commencer. Cependant, nous croyons que les avantages réels de l'immersion se trouvent ailleurs.
Nous avons consacré près d'un an à la création des espaces, à la formation des formateurs et à la mobilisation des équipes responsables de la formation et de l'accompagnement. Nous avons également réfléchi à la manière de mobiliser les demandeurs d'emploi et avons commencé les formations en mars 2023. Nous devons finaliser les dispositifs d'ici la fin juin.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez mobilisé les formateurs et quelles ont été leurs premières réactions ?
Lorsque nous avons présenté le projet il y a environ un an et demi, les formateurs ont adhéré à l'idée.
Nous avons réussi à les impliquer en les amenant à co-concevoir leurs espaces virtuels en collaboration avec Immersive-CoLab. Ils ont appris à travailler directement sur la plateforme pour la partie conception. À chaque étape, ils se demandaient comment formuler les consignes d'apprentissage, ce qu'ils allaient observer et évaluer.
Ils ont opté pour la création de sessions techniques et de sessions transverses. Ils ont créé des espaces pour interagir avec les apprenants, des moments d'expression libre et des activités en intelligence collective. Ce type d’activité est facilité par l’utilisation des avatars.
L’espace virtuel en soi n’a pas d’intérêt si les formateurs n’ont pas pensé au préalable ces différentes situations. On fait très vite le tour d’un espace virtuel, s’il ne s’y passe rien, on n’y revient pas. C'est grâce à ce travail de préparation et de conception que l’appropriation s’est faite.
Dans certains cas, les dispositifs sont déployés par des formateurs en CDD, qui ne sont pas intervenus sur la conception des espaces et doivent s’adapter. L’avenir nous dira comment ils se sont approprié ces nouveaux environnements.
Pôle Emploi a choisi les formations à mettre en place en fonction des besoins d'emploi locaux, notamment dans les secteurs des services à la personne et de l'industrie. Nous n'avons donc pas choisi les formateurs. J'ai été très claire dès le début en leur expliquant que nous étions dans une démarche expérimentale, que les formateurs pourraient ne pas s'approprier rapidement ces nouveaux outils, que les bénéficiaires pourraient hésiter à les utiliser, et que des résistances pourraient se manifester. C'est inhérent à la nature expérimentale de cette initiative.
Comment se sont déroulées les premières expériences avec les apprenants ?
Jusqu'à présent, cela se passe plutôt bien. Cependant, l'adoption n'est pas spontanée. Si les formateurs n'accompagnent pas les apprenants dans l'utilisation de la plateforme et ne les encouragent pas à s'y investir, la plateforme n'a que peu d'intérêt. Elle prend tout son sens dans une dimension collective.
Nous avons rencontré quelques cas de phobie informatique, avec des personnes résistantes à l'idée d'utiliser l'outil. Nous avions déjà observé ce type de résistance dans le passé, notamment avec notre plateforme METIS.
Dans quelques mois, nous disposerons de plus de données sur ces expérimentations.
Aujourd'hui, je peux partager notre expérience sur l’amont, de la préparation au lancement. Je sais que les publics sont plutôt séduits par l'idée, y compris les bas niveaux de qualification, car cela leur permet de travailler à domicile et de tester le « mix-learning ». Cependant, la question clé est de savoir comment les inciter à s'engager activement.
Si quelqu'un se contente de se connecter, nous risquons de le perdre. En observant un avatar, nous pouvons identifier s'il rencontre des difficultés et lui proposer une assistance. La plateforme prend tout son sens dans une dimension collective.
Quelles technologies avez-vous utilisées pour ce projet ?
La technologie que nous utilisons est adaptée et adaptable aux casques de réalité virtuelle. Cependant, nous avons veillé à ce qu'elle soit compatible avec des ordinateurs peu puissants. Cela signifie que la qualité graphique peut être réduite, certes, mais cela permet aux apprenants de les utiliser de chez eux.
Avez-vous dû repenser vos espaces de formation ?
Pour le moment, nous disposons d'espaces dédiés avec des ordinateurs équipés pour intégrer cette nouvelle technologie. Cependant, nous avons rencontré des problèmes liés aux systèmes de sécurité, car l'ouverture de certains ports était nécessaire. Cela doit être anticipé dès le début du projet.
Nous n'avions pas prévu que cela poserait problème, sans cela, nous aurions pu proposer aux apprenants de travailler depuis n'importe quel poste informatique. Il est important de souligner que la transition vers un environnement virtuel peut se faire progressivement, et il n'est pas nécessaire de tout déployer en ligne du jour au lendemain.
Nous avons également constaté que certains formateurs ont tendance à reproduire leurs habitudes et leurs pratiques dans les espaces virtuels, même s'ils disposent de nombreuses fonctionnalités à leur disposition. Cela reflète le fait que les gens ont tendance à recréer leurs habitudes pour se sentir à l'aise, même dans un environnement virtuel. Nous observons que les espaces de remédiation évoluent progressivement vers des environnements plus créatifs, et cela nous permettra d'explorer davantage les possibilités offertes par l'immersion.
Pourriez-vous nous expliquer le rôle des chercheurs dans ce projet ?
Les chercheurs travaillent en étroite collaboration avec Immersive-CoLab, qui est directement impliqué dans le projet. Ils sont venus sur site et vont travailler avec les données collectées. Le protocole expérimental a été élaboré en collaboration avec eux.
Quelles sont vos perspectives de déploiement pour ce projet ?
Nous prévoyons de créer des incubateurs pour explorer davantage les questions liées à la virtualité de l'apprentissage et aux ingénieries nécessaires. Nous souhaitons jouer un rôle actif dans ce domaine, tout comme certains de nos formateurs.
Cependant, le financement sera un défi majeur, car le développement de ces technologies est coûteux en termes d'ingénierie. Les systèmes ne sont pas encore suffisamment matures pour que nous puissions rapidement intégrer l'ingénierie nécessaire et impliquer tous les acteurs. Nous avons pu mener ce projet grâce au financement du PRIC, qui couvre une année de travail pour seulement 5 formations, sur un ratio de 20 % de la durée totale de ces formations. Sans ce financement, nous n'aurions pas pu mettre en œuvre ce projet.
Quoi qu’il en soit, je suis convaincue que nous devons avancer rapidement dans cette direction.
Comment envisagez-vous le monde de la formation dans 20 ans ?
Je constate déjà des évolutions significatives, notamment dans la diversité des formats, la multi-modalité et la réduction des délais de formation. Aucun métier ne pourra passer à travers l’usage de ces nouvelles technologies. Je pense aussi que les entreprises vont s’en emparer.
La Réalité Virtuelle et l’AFEST (Action de Formation En Situation de Travail) peuvent très bien fonctionner ensemble. Il peut y avoir des choses faites en réalité par un apprenant, validées sans qu’il n’y ait aucun risque pour le tuteur...
Je crois que l’usage de la technologie immersive est un incontournable.
En revanche, ça ne va pas décoller aussi vite qu’on le pensait, c’est encore une révolution.
Quand on voit que les plateformes d’apprentissage ne sont pas encore assimilées par tous, il faut être lucide sur le chemin à parcourir.
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