Institut des métiers de la chaudronnerie et de la tuyauterie industrielle
Interview avec Wilnick Piriou, Directeur de l'Institut des métiers de la chaudronnerie et de la tuyauterie industrielle - Les Compagnons du Devoir et du Tour de France – mars 2023 |
Wilnick Piriou, Directeur de l'Institut des métiers de la chaudronnerie et de la tuyauterie industrielle au sein des Compagnons du Devoir et du Tour de France, partage son expérience sur l’utilisation des technologies immersives dans la formation professionnelle. Il explique comment son parcours en tant que chaudronnier l'a conduit à s'intéresser à ces technologies et comment son institut a développé un outil de réalité virtuelle pour présenter les métiers de la chaudronnerie aux jeunes. Les réticences initiales des formateurs et des apprenants sont évoquées, ainsi que les impacts positifs sur l'apprentissage et la formation. Enfin, M. Piriou envisage un avenir où les technologies immersives pourraient jouer un rôle préliminaire dans la formation professionnelle, tout en soulignant l'importance de l'adaptation des formateurs à ces nouvelles méthodes d'enseignement pour préparer les apprenants aux métiers du futur de manière plus immersive et efficace.
Pouvez-vous vous présenter et nous dire ce qui vous a amené à vous intéresser aux technologies immersives ?
Je suis compagnon chaudronnier, j’ai suivi une formation complète chez les compagnons, du BEP au BTS. J’ai été formateur, puis j’ai décidé de rejoindre le monde de l’entreprise. Plus tard dans mon parcours, j’ai ressenti à nouveau le désir de devenir formateur, cette fois-ci à l'ICAM (Institut catholique d’Arts et Métiers) de Lille.
J’ai réintégré Les Compagnons il a y a deux ans, en tant que Directeur de l'Institut des métiers de la chaudronnerie et de la tuyauterie industrielle. J’assure le management, la gestion de projet, l'accompagnement des formateurs et le déploiement de nouvelles techniques et d’outils pédagogiques. Je suis également chargé de la relation avec nos partenaires, notamment l'Éducation Nationale, le ministère de l’Industrie et les industriels. J’apporte aujourd’hui mon expertise métier en tant que chaudronnier ainsi qu’une vision plus large en matière de pédagogie dans les projets auxquels nous contribuons.
Une étude menée par le SNCT (Syndicat de la chaudronnerie) auprès des jeunes et des industriels a révélé que, malgré les innovations dans le secteur, les métiers de la chaudronnerie et de la tuyauterie manquent de visibilité. En réponse à cette étude, il a été décidé de créer un outil de réalité virtuelle (VR) pour présenter nos métiers aux jeunes, qu'ils soient au collège, au lycée, en apprentissage ou en filières postbac.
Nous avons accepté de participer à ce projet et avons travaillé sur la conception de différents scénarios de réalité virtuelle. Le résultat ? Un dispositif qui permet de découvrir l'environnement de nos métiers, les machines, avec la possibilité de cliquer sur celles-ci pour visionner des vidéos expliquant leur utilité et leur fonctionnement. Le tout est accompagné de bruits d'atelier et de dialogues enregistrés, créant une immersion réaliste.
Par la suite, nous avons enrichi ces environnements virtuels en y intégrant davantage de réalisme grâce à notre expertise terrain. Ainsi, des scénarios nous placent sur un chantier, nous font travailler sur un permis feu, nous font découvrir le bureau des méthodes, ou encore nous mettent en situation de travailler sur une cuve.
L'outil est désormais en service, et nous travaillons continuellement à son amélioration.
Ce projet, baptisé "CTM Virtual Xperience1", a été largement soutenu par de nombreuses entreprises industrielles.
Nous avons par ailleurs été sollicités par le ministère du Travail pour travailler sur l'hybridation de la formation professionnelle en tuyauterie. Nous avons formulé des propositions dans le cadre de ce projet orienté vers l’utilisation de la réalité augmentée. Nous avons proposé des solutions impliquant des hologrammes pour avoir une représentation dans l'espace. Il est apparu que cette technologie n'était pas si simple à appréhender pour nos apprenants.
Comment avez-vous mobilisé les formateurs et les jeunes ? Comment cela s'est-il passé ?
Pour aborder ce sujet, commençons par les freins pour terminer par du positif. Nous avons rencontré de la résistance au changement et avons fait face au paradoxe « on n’aime pas le changement mais on aime la nouveauté ». Lorsqu'on est habitué à une méthode donnée, on peut être réticent à tout changement.
Cependant, nous avons la chance d'avoir des formateurs relativement jeunes, la plupart ayant entre 22 et 30 ans et issus du terrain, du monde de l’entreprise. Nous avons donc proposé à nos formateurs de tester ces nouveaux outils.
Pour la modélisation, nous avons fait appel à une entreprise spécialisée à qui nous avons fourni des scénarios et des plans. La création d'outils de réalité virtuelle demande une expertise particulière pour assurer leur intégration, leur cohérence et leur pérennité sur le long terme, sans devenir obsolètes en quelques années.
Pour former nos enseignants à l'utilisation de cette modalité, nous avons intégré la démarche dans nos séminaires annuels, conçus pour favoriser la veille technologique et la découverte de nouveaux outils. Nous avons ensuite proposé à de petits groupes de tester la modalité immersive, ce qui a rapidement levé les réticences. Il est important de noter que certains scénarios ont été mieux accueillis que d'autres.
Du point de vue de nos collègues de l'Éducation nationale, les expériences en réalité virtuelle sont particulièrement bienvenues, en matière d’orientation, car elles permettent aux jeunes de se familiariser avec les métiers industriels sans être en immersion directe en entreprise.
Pour les jeunes déjà en apprentissage, deux retours concrets :
1/ ils n’adhèrent pas aux visites d’ateliers en VR, car connaissent déjà une réalité « terrain » dans la mesure où ils évoluent dans l’entreprise, grâce à l’alternance
2/ en revanche, les dispositifs immersifs sont précieux pour ceux qui n'ont pas l'occasion de se rendre sur un chantier, car toutes les entreprises ne proposent pas de missions sur site, notamment pour le montage.
Nous encourageons donc nos apprenants à utiliser la VR comme un support complémentaire, que ce soit avant ou après un cours. Cela leur permet d'explorer des situations qui leur seraient inaccessibles autrement. Par exemple, une visite sur site avec un groupe de 20 apprenants nécessiterait une demi-journée rien que pour l'accueil et la sécurité. Avec la VR, nous pouvons aborder des séquences liées à la sécurité, au port des équipements de protection individuelle (EPI), aux codes de sécurité, voire à des activités pratiques comme la montée d'une échelle ou la soudure de pièces avec différents procédés. Cette approche est bien accueillie par les apprenants. En fin de journée, en tant que rappel ou après la pause déjeuner, ces outils fonctionnent aussi très bien. Nous les utilisons en groupes restreints, généralement de 4 à 5 apprenants maximum. L'un d'entre eux porte le casque de réalité virtuelle, tandis qu'un autre peut l'aider en cas de besoin. Les trois autres apprenants peuvent suivre l'expérience sur un écran. Au-delà de ce nombre, l'attention des apprenants diminue, ce qui complique la tâche du formateur.
Quelles sont les réactions des apprenants ?
Les réactions des apprenants varient. Certains trouvent ces outils très intéressants, tandis que d'autres sont plus mitigés. Il existe une certaine réserve, notamment chez les plus jeunes. En revanche, les étudiants en filières postbac, qui sont légèrement plus âgés, expriment plus facilement leurs opinions. Ils trouvent ces outils utiles, mais émettent également des critiques concernant le réalisme de certaines versions. Pour ceux qui ont déjà eu l'occasion de travailler sur un chantier réel, manipuler une manette ou un dispositif virtuel ne paraît pas suffisamment convaincant.
Dans certains cas, nous avons dû modifier les scénarios pour les rendre plus réalistes. Par exemple, lorsqu'un objet tombe au sol dans l'environnement virtuel, il doit réellement tomber par terre, obligeant l'apprenant à s'accroupir pour le ramasser.
Avez-vous observé des impacts intéressants ?
Sur le site de Lille, où nous disposons de plus de recul, nous avons pu constater quelques impacts positifs. Certains apprenants rencontrant des difficultés de vision et de projection dans l'espace ont eu une véritable révélation grâce à la VR.
Dans le domaine de la tuyauterie, où nous devons positionner des lignes de tuyauterie à partir de plans en 2D, la VR a grandement simplifié la tâche. Auparavant, en salle de classe, les formateurs utilisaient des papiers pliés pour tenter d'expliquer ces concepts. Désormais, avec les outils de réalité virtuelle, cette opération est bien plus aisée, ce qui a été une belle surprise.
Avez-vous dû développer de nouvelles compétences en interne pour accompagner ces projets ?
Ce projet a mobilisé de nombreux acteurs : Éducation Nationale, entreprises, syndicats, UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie). La force du collectif a permis de bénéficier des ressources nécessaires pour mener à bien ce projet, où chacun apporte sa pierre à l’édifice.
L'un des freins évoqués concerne les coûts. Qu'en dites-vous ? Comment envisagez-vous l'avenir ?
Effectivement, ces projets impliquent des coûts substantiels. Dans notre cas, nous n'avons pas eu à les supporter directement, car d'autres parties prenantes les ont pris en charge. De plus, ces outils seront mis gratuitement à disposition de l'Éducation Nationale et des organismes de formation.
Cependant, les coûts liés aux équipements restent élevés. Nous avons besoin d'ordinateurs de type gaming. De plus, les casques de réalité virtuelle représentent également un investissement significatif.
Que serait pour vous la formation dans 20 ans ? L’usage des technologies immersives ?
En ce qui concerne l'avenir de la formation, dans 20 ans, je pense que les technologies immersives pourraient potentiellement remplacer en partie l'enseignement en présentiel, à condition que nous disposions de suffisamment de ressources et de supports. Les apprenants pourraient s'entraîner de chez eux avant de se rendre sur le terrain.
La formation pratique restera essentielle, mais les technologies immersives pourraient jouer un rôle sur les phases amont, avant de se rendre sur le terrain. Dans certains domaines, notamment la formation aux premiers secours, des associations ont déjà commencé à intégrer des modules à distance obligatoires. Cela permet de réduire le temps en salle de classe et de proposer des formations de meilleure qualité. Les apprenants qui ont préalablement suivi la formation à distance se concentrent davantage sur les échanges lors des séances en présentiel, où le formateur joue un rôle crucial.
Cela signifie-il que la posture du formateur va évoluer ?
Oui, elle évoluera. Par le passé, lorsque j'étais apprenti, le formateur nous expliquait comment faire les choses, et nous suivions ses directives sans discuter. Aujourd'hui, tout est remis en question, et les formateurs doivent être constamment en veille. Ils doivent corriger les informations erronées, favoriser les échanges et créer une véritable interaction avec les apprenants. Ils ne sont plus uniquement des sachants.
Les publics actuels, âgés de 18 à 25 ans, sont enclins à remettre en question les enseignements. Ils souhaitent approfondir leur compréhension des sujets étudiés.
Dans 20 ans, il est probable que les apprenants arriveront probablement en formation avec une base de connaissances préalable, et les formateurs devront les consolider tout en allant plus loin dans les apprentissages. Par conséquent, les formateurs devront être encore plus « experts » qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Ces outils ont-ils un impact sur la connaissance des métiers et leur attractivité ?
Il est encore trop tôt pour le mesurer. Le changement des mentalités et l'adoption généralisée de ces outils prendront du temps, d'autant plus qu'il faut équiper un plus grand nombre d'établissements de formation.
Nous ne pouvons pas forcer les professionnels plus « anciens » dans le métier et réticents à adopter ces nouvelles technologies, car ils possèdent une expertise inestimable. Nous devons les accompagner dans l'appropriation de ces outils. Cependant, je suis convaincu que ces technologies contribueront à accroître l'attractivité de nos métiers. Elles offrent une manière simple et impactante de découvrir des professions parfois méconnues, comme celle de chaudronnier. Et si elles ne modifient pas fondamentalement l'attractivité, elles contribueront à mieux faire connaître nos métiers.
Si vous deviez vous adresser à un organisme de formation réfractaire, que lui diriez-vous ?
Que risquez-vous à essayer ?
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