Université Lyon1 (ICPA) – l’immersif au service de la pédagogie
Interview avec Nora Van Reeth, Chef de projets pédagogiques innovants au sein de l'ICAP (Innovation Conception et Accompagnement pour la Pédagogie) à l'Université Lyon 1 – mars 2023 |
Nora Van Reeth, de l'Université Lyon 1 nous retrace la démarche de “pas à pas” adoptée par l'université pour intégrer la réalité virtuelle (RV), en mettant l'accent sur l’acculturation des enseignants et des étudiants. Elle partage des exemples de réussites pédagogiques grâce à la VR, tout en soulignant l'importance à “veiller à ce que chaque ressource en VR apporte une réelle plus-value par rapport à d'autres ressources pédagogiques.”
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer votre rôle au sein de l'Université Lyon 1, ainsi que les expériences immersives que vous avez développées ?
Je travaille à l'Université de Lyon 1 au sein de l’iCAP, qui signifie "Innovation Conception et Accompagnement pour la Pédagogie". Notre service est composé de trois pôles :
- Le pôle plateforme qui gère la plateforme LMS de l'université, avec des développeurs, des personnes en charge de l'infrastructure, des serveurs et de l'assistance aux utilisateurs.
- Le pôle pédagogie avec des conseillers et des ingénieurs pédagogiques qui travaillent sur l'accompagnement et la formation aux usages, ainsi que sur l'évaluation des expériences d'apprentissage.
- Le pôle de création multimédia, avec une dizaine de personnes qui travaillent exclusivement sur la création de contenus pour l'enseignement, notamment des infographistes 2D, 3D, des vidéastes, des animateurs, des photographes, etc.
Mon rôle en tant que chef de projet est de coordonner l'activité fonctionnelle de ces trois pôles. Nous avons un appel à projet interne ouvert en continu, permettant aux enseignants de déposer leurs projets pédagogiques. Nous y répondons en allouant des ressources en « temps homme ».
Par exemple, un enseignant qui constate des problèmes de compréhension sur une notion spécifique de son cours auprès des étudiants peut déposer un projet, et nous collaborons avec lui pour développer des solutions telles qu'une animation ou la mise en place d’une classe inversée.
Nous soutenons environ 60 projets par an, ce qui est significatif étant donné que Lyon 1 accueille environ 50 000 étudiants par an, principalement dans les filières scientifiques, médicales et sportives.
Ces projets peuvent varier en durée, certains prenant seulement quelques jours tandis que d'autres peuvent s'étendre sur plusieurs années en fonction de l’ampleur du besoin.
Dans ce contexte, notre mission est à la fois pédagogique et axée sur l'innovation. Nous explorons et testons de nouveaux outils, méthodes d'enseignement et nouvelles technologies.
Comment avez-vous concrètement introduit les technologies immersives, en particulier la réalité virtuelle (VR), dans l'université ?
Nous avons pu introduire les technologies immersives, y compris la réalité virtuelle, grâce au financement sur 5 ans de la région Auvergne Rhône Alpes. Cela a été essentiel pour donner le coup d'envoi. Cela nous a permis de progresser plus rapidement et plus loin dans cette direction.
Grâce à ce financement, nous avons recruté du personnel spécialisé, notamment des infographistes 3D en temps réel spécialisés dans la réalité virtuelle.
Nous avons adopté une approche progressive, pas à pas. Nous savions par expérience que l'effet "waouh" initial peut être néfaste pour la suite. Bien que convaincus que la VR avait un potentiel en éducation, nous ne voulions pas précipiter les choses.
Nous avons tout d’abord organisé des événements ouverts aux enseignants sur le campus pour qu'ils puissent tester des expériences en VR.
Nous avons également réussi à mettre en place une salle dédiée, notre "Virtual Lab," conçue comme un "learning lab" favorisant la pédagogie active pour que les enseignants puissent s’approprier les lieux en liberté, selon leurs besoins. Il est équipé de murs inscriptibles, de bureaux disposés au centre de la salle, de dix postes, chacun équipé d'un casque de VR, et d'un tableau interactif permettant de projeter les postes sur grand écran. Le Virtual Lab a été ouvert au campus, et nous avons organisé des journées portes ouvertes pour le présenter.
Par la suite, nous avons commencé à développer nos propres expériences de réalité virtuelle en interne, en commençant par une expérience de biologie cellulaire scénarisée. Cette expérience permet aux étudiants de descendre dans les différentes couches de la peau, d'effectuer des actions et de récupérer des éléments pour appréhender le processus de cicatrisation. Elle est devenue un succès et est utilisée encore chaque année par 200 étudiants de Licence.
Cependant, nous avons rapidement réalisé que le développement d'expériences en Réalité Virtuelle en interne prenait beaucoup de temps. Nous avons donc commencé à collaborer avec des sociétés privées pour sous-traiter la partie développement.
Quoiqu’il en soit, nous veillons particulièrement à ce que chaque expérience en VR apporte une réelle plus-value par rapport à d'autres ressources pédagogiques.
Comment avez-vous mobilisé les enseignants pour qu'ils intègrent ces technologies dans leurs cours ?
Le principal levier que nous utilisons est l'acculturation, c'est-à-dire le fait de faire découvrir les technologies aux enseignants. Nous ne cherchons pas à convaincre les enseignants qui ne sont pas intéressés. Certains enseignants sont venus à nos séances de démonstration sans savoir comment intégrer la Réalité Virtuelle dans leur enseignement, et certains ont fini par changer d'avis après avoir vu les avantages pédagogiques.
Les étudiants ont également joué un rôle moteur. Notre salle dédiée était souvent ouverte, et au début, nous avons eu beaucoup d'étudiants curieux qui venaient voir et encourageaient les enseignants à s'intéresser à la Réalité Virtuelle.
Nous avons mis en place un plan de formation interne pour familiariser les enseignants à la Réalité Virtuelle et son potentiel. Après la pandémie de Covid-19, nous avons opté pour un format hybride.
Actuellement, nous proposons un plan de formation de quatre semaines et la possibilité de séquences pratiques au Virtual Lab. Ce plan de formation couvre la compréhension de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée et de la réalité mixte, ainsi que des aspects pédagogiques comme la conception d'expériences en VR et leurs avantages en termes d'engagement, d'immersion et de présence.
Ce plan de formation fonctionne très bien et contribue à sensibiliser les enseignants aux possibilités de la VR.
Vous avez mentionné une mission d'évaluation au sein de votre pôle. Pouvez-vous expliquer en quoi elle consiste et quels sont les retours des étudiants ?
L'évaluation des expériences d'apprentissage est obligatoire dans toutes les universités, et cela inclut les évaluations par les étudiants, des contenus qu'ils ont suivis. Notre service gère cette évaluation, ce qui nous permet d'acquérir une expertise dans l'évaluation de l'impact des réalités virtuelles sur l'apprentissage.
Cependant, il est encore tôt pour obtenir des données significatives. Pour une évaluation rigoureuse, il faudrait comparer des groupes distincts d'étudiants.
Nous menons actuellement des évaluations informelles pour obtenir une idée générale de l'impact. Les retours que nous avons reçus indiquent que l'immersion et l'interaction offrent un avantage en termes d'apprentissage.
Comment envisagez-vous l'avenir du déploiement de la VR dans l'enseignement supérieur ?
Je vois deux aspects importants pour l'avenir de la VR dans l'enseignement supérieur. D'un point de vue technique, les technologies évoluent rapidement. Actuellement, nous utilisons principalement des solutions fixes. Nous avons un peu de matériels mobiles, mais nous faisons face à des défis tels que le suivi de l'écran de l'utilisateur, ce qui est compliqué dans un contexte pédagogique. Nous travaillons depuis peu avec des mallettes de casques autonomes pour faciliter la logistique, et une solution de gestion des applications pour permettre aux enseignants de piloter les expériences.
D'un point de vue logiciel, il existe des expériences VR en 3D avec un potentiel pédagogique évident, en particulier dans des domaines tels que la biologie où elles permettent de représenter des concepts difficiles, d'une manière immersive. Cependant, il existe également des expériences à 360°plus simples à réaliser, qui peuvent être consultées sur divers supports. Nous continuons à explorer le potentiel du métavers, en particulier sur des solutions auteur, pour voir comment elles peuvent être intégrées dans l'enseignement.
Nous travaillons également à mutualiser nos connaissances et nos ressources avec d'autres établissements d'enseignement supérieur. Nous souhaitons créer une bibliothèque de ressources partagées pour que tout le monde puisse en bénéficier. Ce projet avance bien, ce sont les missions de l’action 5 du projet Include, le DémoES de Lyon 1 https://include.univ-lyon1.fr/action-5/
Et comment imaginez-vous l'université dans 20 ans ?
Je pense que l'université évoluera vers une délocalisation accrue, avec des campus décentralisés pour favoriser l'accessibilité à la formation pour tous. L’université Lyon 1 a déjà ouvert des filières délocalisées, permettant aux étudiants de suivre leur cursus ailleurs que sur le campus principal.
J'espère surtout que nous réussirons à maintenir l’équilibre entre la technologie et la pédagogie. Je suis persuadée qu’on ne pourra jamais remplacer l'enseignant, qu’il restera essentiel, mais qu’il doit apprendre à utiliser constamment de nouveaux outils numériques et mettre en place de nouvelles pratiques d’apprentissage.
Il est possible que de nouvelles innovations que nous ne pouvons pas encore imaginer joueront un rôle majeur, nous pourrons en reparler dans 20 ans….
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