CCCA BTP – L’immersif au service de l’acquisition des savoir-faire
Interview avec Pascal Miche, Responsable du Pôle ingénieries et innovation au CCCA BTP, Association nationale professionnelle et paritaire, en charge de coordonner la politique de formation par apprentissage dans le BTP – mars 2023 |
Pascal Miche, du CCCA BTP met en lumière le rôle essentiel du CCCA BTP et du Pôle Ingénierie et Innovation, en matière de formation professionnelle, dans le secteur de la construction. Le CCCA BTP, fort de ses 82 années d'existence, a évolué pour répondre aux besoins changeants des jeunes apprenants et des organismes de formation. L'accent est mis sur l'adoption de solutions immersives, notamment la réalité virtuelle, pour renforcer le lien entre les compétences théoriques et pratiques. Sont évoqués dans cette interview, les défis actuels, tels que la diffusion des modules immersifs et les coûts de développement, tout en mettant en avant l'importance de la formation des formateurs et de la mobilisation du collectif pour façonner l'avenir de l'apprentissage dans le secteur de la construction.
Pouvez-vous nous présenter le CCCA BTP, le pôle ingénierie et innovation, et ce qui vous a amené à proposer des solutions immersives ?
Le CCCA BTP est l’organisme paritaire qui porte la politique de formation en apprentissage des branches du bâtiment et des travaux publics. Son conseil d’administration est composé de représentants des organismes professionnels, des organisations syndicales, de l'État et de l'Éducation Nationale. Il existe depuis 82 ans et a été créé après-guerre pour former les futurs salariés du secteur, en proposant des supports de formations permettant aux salariés de se former à distance. Une approche avant-gardiste pour l’époque !
Cependant, il est rapidement devenu évident que la formation à distance ne suffisait pas. Il apparaissait nécessaire de former les futurs salariés aux gestes professionnels attendus et pour cela il convenait de disposer de plateaux techniques. Le CCCA a donc cofinancé, avec les conseils régionaux, la construction de centres de formation paritaires dans toute la France, au nombre de 76 aujourd'hui. Ces centres sont équipés pour former les apprenants aux métiers du bâtiment et des travaux publics en alternance.
Avec la loi Avenir Pro de 2018, le CCCA a vu son rôle évoluer. Il n'est plus la tête de réseau, mais il propose désormais une offre de services à l'ensemble des organismes de formation qui proposent des parcours dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, soit près de 450 organismes. Le CCCA accompagne ces organismes dans la qualité de la formation, le développement des compétences des formateurs et la certification de l'offre.
En tant que Responsable du Pôle Ingénierie Pédagogique et Innovation, je suis chargé de promouvoir l'innovation dans nos activités. C'est ce qui nous a conduits à nous démarquer de la concurrence avec d’autres branches professionnelles, en particulier en ce qui concerne l'attractivité de la formation dans les métiers du BTP.
Aujourd'hui, les jeunes ont des attentes différentes, ils ont évolué dans leurs loisirs et leurs habitudes. Les organismes de formation doivent donc adapter leurs méthodes pédagogiques. La loi Avenir Pro a également introduit la possibilité pour les jeunes de s'inscrire en formation à n'importe quel moment de l'année, et ceci, jusqu’à 29 ans révolus, ce qui a été une révolution pour les organismes de formation.
C'est pourquoi le CCCA travaille depuis 2018 sur la modularisation des parcours de formation. Cette approche consiste à découper les certifications en blocs de compétences, qui sont ensuite déclinés en modules de formation. Plus les parcours sont modulaires, plus il est facile d'accueillir un apprenti à tout moment, en lien direct avec ce qu'il fera en entreprise. L’approche par blocs de compétences favorise l'hybridation des parcours et permet de répondre à l'hétérogénéité des publics. Le CCCA a défini un process pour faciliter la mise en œuvre de la modularisation, nous venons d’ailleurs de sortir un guide “modularisation des parcours “ présenté à Cannes lors de l’Université d’hiver de la formation professionnelle.
Nous avons également exploré différentes approches pédagogiques, y compris la formation à distance (FOAD) et la création d'une plateforme LCMS pour permettre aux formateurs de construire des capsules et des modules de formation. Aujourd’hui Aptyce est fréquenté par 50 000 utilisateurs, formateurs et apprentis.
L’utilisation de la plateforme va du présentiel enrichi au distanciel. Dans le présentiel enrichi, un jeune peut suivre un parcours d'apprentissage différencié. Il ne participe pas à la séquence telle que prévue pour les autres, il a accès à un parcours spécifique sur son ordinateur ou sa tablette.
Le distanciel offre également des opportunités. Entre la première et la deuxième phase de stage, les apprenants peuvent consacrer une demi-journée, une journée, voire deux journées à des travaux organisés à distance. Cette approche vise à anticiper les enseignements à venir ou à approfondir ce qui a déjà été abordé.
Plus récemment, les modalités immersives sont venues s'ajouter à ces méthodes, offrant une complémentarité précieuse avec la formation traditionnelle.
Les apprenants en formation doivent aujourd’hui jongler entre les activités en entreprise sur un chantier et celles proposées en centre de formation. En entreprise, ils sont actifs ; en centre de formation, ils acquièrent des connaissances théoriques et des compétences. Il manque cependant un élément crucial : l'acquisition de l'autonomie. Pour cela, ils ont besoin de connaissances et de méthode.
L’Immersive Learning est devenu un outil essentiel pour combler ce fossé. Cette modalité permet aux formateurs de mettre en place des activités qui ne seraient pas réalisables en atelier. Après les avoir interrogés sur les activités réalisées en entreprise et compliquées, voire impossibles à reproduire faute de place dans les centres de formation… Sans surprise, nous en avons identifié de nombreuses, ce qui nous a permis de lister les modules à créer.
Notre postulat de départ : il n’y pas de module en réalité virtuelle qui fonctionne sans une scénarisation adaptée à l’activité visée. Quand on fait de la formation, l’objectif est de mettre en œuvre des compétences et de les acquérir. On doit donc proposer une activité à un apprenant, tout en s’assurant qu’il sera en capacité de la réaliser et de mobiliser ses connaissances pour atteindre un objectif fixé. L'erreur est autorisée, ce qui est un avantage considérable, car en entreprise, les erreurs ont un coût. Les apprenants peuvent ainsi s'arrêter, réfléchir et recommencer pour réussir.
À la fin de chaque module, le formateur peut évaluer les tâches réalisées par l'apprenant et lui fournir des retours, ce qui renforce la pédagogie par la pratique. La réalité virtuelle renforce également la concentration des apprenants lorsqu'ils portent le casque, ce qui était une découverte inattendue.
Le CCCA ne crée pas lui-même les modules immersifs, mais il favorise les innovations pour l'ensemble du secteur de la formation professionnelle. Nous avons par ailleurs développé une application de réalité augmentée « RA by CCCA », en collaboration avec l’entreprise Artefacto, pour intégrer des éléments dans l'environnement de formation (escaliers, meubles, etc.). Ils avaient la technique et nous, la vision pédagogique de ce qui était attendu. Nous avons également une équipe dédiée au Building Information Modeling (BIM), qui développe des maquettes numériques interactives à des fins pédagogiques.
Ces exemples illustrent notre approche : proposer des productions simples et à forte valeur ajoutée pour inspirer et donner l’exemple.
Dans le cadre d'un projet appelé DEFFINUM, nous travaillons sur l'interopérabilité des métiers du bâtiment, car les erreurs dans ce domaine sont souvent dues à une mauvaise gestion de cette interopérabilité. Nous emmenons 18 organismes de formation représentant 60 sites de formation avec nous dans ce projet. Nous visions la production de 150 modules immersifs dans le cadre de ce projet cofinancé par la Caisse des Dépôts et le CCA. Les organismes participants ne contribuent pas financièrement : ils se concentrent sur le volet pédagogique, à savoir, la conception et l’hybridation des parcours… Tout cela, au service des métiers du bâtiment.
Quels sont les principaux obstacles auxquels vous êtes confrontés ?
Le principal défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est la diffusion des modules immersifs. Il est difficile pour les formateurs de les télécharger et de les mettre en œuvre. Nous finalisons actuellement la création d'une plateforme dédiée aux modalités immersives « E-mersive BTP » qui, à l’image de Netflix, permettra d'accueillir toutes les modalités immersives par filière. Ce projet, développé avec VR Connection, facilitera la diffusion des modules et permettra à l'ensemble des participants de bénéficier des apports du collectif.
Le coût de développement des modules immersifs est également un défi. Le travail de scénarisation avec les formateurs n'est qu'une partie du processus. Il faut également contextualiser les environnements et créer les éléments nécessaires (communément appelés « les assets »). Nous avons donc intégré une bibliothèque d'assets dans notre plateforme, ce qui permettra aux formateurs de créer leurs propres modules immersifs à l'avenir.
Il est important de souligner que cette approche ne vise pas à remplacer l’existant, mais plutôt à compléter les méthodes traditionnelles. Elle se révèle être un outil précieux pour améliorer le contenu pédagogique et développer les compétences des apprenants dans des situations virtuelles, mais ancrées dans la réalité.
Notre objectif n'est pas de fournir une certification par cette méthode. En effet, elle ne peut en aucun cas remplacer l'expérience pratique réelle ou la mise en situation sur un chantier. Au contraire, nous cherchons principalement à développer une méthodologie solide. Nous souhaitons offrir aux jeunes une compréhension globale du travail qu'ils accomplissent. Par exemple, dans le cas de la pose d'une fenêtre, la réalité virtuelle peut leur faire gagner du temps, mais l'expérience complète sur un chantier reste irremplaçable.
La véritable valeur ajoutée réside dans la transition entre l'apprentissage théorique et l'action pratique. La réalité virtuelle comble ce fossé en offrant un environnement où les apprenants acquièrent des connaissances et des compétences, tout en bénéficiant de la réflexion et de l'apprentissage de la méthode. Cela renforce leur capacité à comprendre le processus global de travail.
Bien sûr, il y a des coûts associés à cette approche, notamment le développement de scénarios multiples pour couvrir divers aspects de la formation, des poses de fenêtre aux techniques de construction en bois ou en béton armé. De plus, nous prenons en compte la diversité des apprenants : il est ainsi tout à fait possible de travailler avec des jeunes en CAP, en BP, en adaptant la complexité des situations. La clé de la réussite est d’avoir anticipé cela dès le départ, au regard des attendus du référentiel.
La réalité virtuelle entraîne également une réflexion sur l’organisation de nos espaces de formation. L'hybridation des méthodes pédagogiques exige une adaptation de nos installations. Nous collaborons activement avec les formateurs, les équipes de direction et les responsables pédagogiques pour repenser nos espaces de formation. Il s'agit d'offrir aux apprenants des environnements propices à la "gestilligence" - un terme qui désigne la combinaison d'actions professionnelles, de choix réfléchis et d'intelligence professionnelle. Ces espaces doivent être plus vastes et mieux équipés pour répondre à cette évolution.
En ce qui concerne les équipements, le tout premier élément est d’identifier comment héberger les PC et les données. Nous investissons en effet dans des PC adaptés, des cartes mémoire appropriées et des casques VR adaptés. Le marché évolue pour répondre aux besoins matériels et humains de cette transformation. Nous sommes convaincus que les années à venir réservent de belles avancées dans ce domaine.
Enfin, le CCCA a mis en place un accélérateur d'innovation pédagogique, un concept et un espace pour détecter des nouveautés et identifier des innovations. Nous y testons de neauveaux matériels et équipement dans un CFA « pilote », puis les déployons dans l’ensemble des CFA du domaine si l’expérimentation de terrain s'avère positive.
Nous sommes en train de mettre en place un labo dédié à l’innovation, un espace où de nouvelles idées prendront vie : plateau technique et plateau télé sont prévus pour présenter les idées et projets innovants. Notre objectif : favoriser l’émergence de projets et d’idées innovantes au service de la formation professionnelle.
Comment mobilisez-vous les formateurs et les accompagnez-vous dans ce changement ?
Avec l'avènement d'Internet, la posture du formateur a considérablement évolué. Les apprenants n'ont plus besoin du formateur uniquement transmetteur de connaissances théoriques, car ces connaissances sont facilement accessibles en ligne. Par conséquent, le rôle du formateur est devenu celui d'un médiateur-accompagnateur.
Nous encourageons les formateurs à adopter cette posture, qui consiste à favoriser une démarche d'apprendre à apprendre plutôt que d'apprendre pour apprendre. Les apprenants doivent comprendre pourquoi ils apprennent, le contexte dans lequel cela se situe, ce qui les amène à mieux intégrer les informations.
Le formateur doit aider les apprenants à contextualiser, comprendre et analyser les situations. Nous mettons en place des actions dédiées à la montée en compétences des formateurs, en mode miroir, où tout ce que nous proposons aux formateurs est destiné à être transposé aux apprenants.
Nous sommes convaincus du caractère bénéfique des pratiques réflexives. Le process d’analyse réflexive permet de dire “j’ai fait telle activité, quels sont les effets que ça a produit ? Pourquoi ? Est-ce que ça a produit les effets attendus ? Est-ce que j’ai bien fait ? Si je n’ai pas bien fait, comment je remédie à cela ? Comment je ferai mieux demain ?”. Les formateurs doivent encourager les apprenants à réfléchir sur leur propre apprentissage, à analyser les effets de leurs actions, à identifier leurs erreurs et à réfléchir à la manière de s'améliorer.
Vous avez mentionné l'importance du collectif. Comment cela est-il intégré dans les modèles que vous avez développés ?
En effet, le collectif revêt une grande importance pour nous. Nous avons mis en place un module intermétiers baptisé "Barbershop" où les apprentis travaillent ensemble pour construire un salon de coiffure. Chaque apprenti se voit confier des activités et des tâches spécifiques sur ce chantier, avec une visibilité sur ce qu’il s'est passé avant et après son intervention.
Ce type de projet représente un défi pour nos développeurs, mais il apporte une réelle valeur ajoutée. Nos formations sont désormais conçues pour favoriser cette approche collective. Au départ, nous proposions principalement des activités individuelles, mais nous évoluons maintenant vers l'interopérabilité des métiers au sein de nos formations, encourageant ainsi la collaboration entre les apprentis dans des environnements professionnels virtuels.
Institut des métiers de la chaudronnerie et de la tuyauterie industrielle
Interview avec Wilnick Piriou, Directeur de l'Institut des métiers de la chaudronnerie et de la...
Université Lyon1 (ICPA) – l’immersif au service de la pédagogie
Interview avec Nora Van Reeth, Chef de projets pédagogiques innovants au sein de l'ICAP...
Institut agro de Dijon – l’immersif au service des gestes et techniques
Interview de Thierry Langouët, directeur adjoint de l’Institut Agro de Dijon et directeur de la...
AFPA – L’immersif au service des premiers niveaux de qualification
Interview avec Magali SIREROLS, Directrice Régionale de l’Ingénierie et de l’Innovation à l'AFPA...