Institut agro de Dijon – l’immersif au service des gestes et techniques
Interview de Thierry Langouët, directeur adjoint de l’Institut Agro de Dijon et directeur de la mission d’appui à l’enseignement agricole de l’Institut Agro. Avril 2023. |
L'Institut Agro de Dijon, dirigé par Thierry Langouët, joue un rôle essentiel en soutenant l'enseignement agricole pour le Ministère de l'Agriculture. Leur mission englobe divers domaines, notamment l'informatique, la formation, et la création de ressources pédagogiques. Ils ont développé des outils immersifs pour l'enseignement agricole, tels que des simulateurs pour la formation forestière et la conduite d'engins agricoles. Ces outils permettent aux apprenants de se familiariser avec des situations complexes et dangereuses. L'objectif est d'améliorer la formation en offrant des expériences réalistes et de renforcer l'attractivité des métiers agricoles. A l'avenir, l'hybridation de la formation pourrait jouer un rôle clé pour améliorer l'efficacité de l'apprentissage.
Pouvez-vous vous présenter et nous apporter des précisions sur les missions de l’Institut Agro ?
Je suis directeur adjoint de l’Institut Agro de Dijon et directeur de la mission d’appui à l’enseignement agricole de l’Institut Agro.
L’Institut Agro est l’un des principaux opérateurs d’appui à l’enseignement agricole pour le compte du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire via les commandes passées par sa Direction générale de l’enseignement et de la recherche. Cet appui concerne divers domaines qu’il s’agisse de l’informatique, de l’ingénierie de la formation ou de l’édition de ressources pédagogiques ou scientifiques.
L’enseignement agricole, c’est environ 800 établissements dont 175 établissements publics locaux d’enseignement professionnel et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA), des établissements privés (CNEAP, UNREP) et le réseau des Maisons Familiales MFR. S’ajoutent les formations de l’enseignement supérieur agronomique (Ingénieurs, Masters, etc.), forestier et vétérinaire.
Au total ces filières de formation vont jusqu’au doctorat et intègrent de l’apprentissage et de la formation continue. Chaque année, environ 220 000 personnes suivent une formation dans les établissements du secondaire ou du supérieur. Nous avons aussi un centre de formation à distance à l’Institut Agro Dijon qui forme environ 2 000 personnes par an.
A Dijon, nous disposons d’une importante composante de développement informatique pour les établissements d’enseignement agricole, au départ pour appuyer leur gestion, puis pour la pédagogie. Nous sommes en quelque sorte la SSII du ministère de l’Agriculture pour l’enseignement agricole avec plus d’une quarantaine de personnes qui développent des logiciels de gestion, de comptabilité, de suivi des apprenants ainsi que certains outils pédagogiques (LMS, etc.).
Quelle est votre utilisation de l’Immersive Learning ?
L’institut Agro de Dijon dispose d’une équipe de recherche en sciences de l’éducation et de la formation (UR FOAP), axée sur la didactique professionnelle, c’est-à-dire l’usage de l’analyse du travail pour la conception de dispositifs de formation. Cette équipe s’intéresse à l’apport des simulateurs en formation professionnelle.
Par exemple il y a quelques années, un lycée agricole public de Bourgogne Franche-Comté, spécialisé dans les formations forestières a contacté cette équipe avec plusieurs questionnements : quand on forme des forestiers, on ne sait pas exactement ce que va donner le geste ou la décision qu’on prend en termes d’exploitation forestière. Quand on coupe des arbres, qu’est-ce que ça donne 30 ans après ? Or, les enjeux sont très importants en termes de biodiversité et de durabilité. Serait-il possible de développer un simulateur qui permette aux apprenants de visualiser l’impact de ce qu’ils font (planter, abattre …) ?
Un projet collaboratif a donc été élaboré en réponse à ce questionnement, il a été lauréat d’un appel à projets du programme d’investissement d’avenir (PIA). Ce projet porte le nom de Silva Numerica. Le consortium a associé des établissements d’enseignement agricoles et forestiers, l’ENSAM, des établissements de l’Education Nationale, des professionnels de la forêt, des entreprises de développement informatique et l’équipe des sciences de l’Education et de la formation de l’Institut Agro Dijon.
Pendant 5 ans, un travail collectif a été mené avec des forestiers pour décrire et comprendre leurs activités professionnelles. Un simulateur a été ensuite développé avec des informaticiens, des formateurs et des chercheurs. Cet outil intègre un modèle de croissance végétale d’une parcelle forestière, illustrée soit sur écran, soit via un casque de réalité virtuelle.
Un des objectifs était de ne pas se focaliser sur la seule conformité visuelle entre la simulation et la réalité. Le postulat de départ : créer un outil professionnel qui ne doit pas ressembler à un jeu. L’outil immerge donc les apprenants dans une forêt avec une visualisation d’arbres de différentes espèces, leur âge et l’affichage de leurs caractéristiques propres et environnementales. L’objectif final est d’identifier ce que génèrent dans le temps des gestes d’abattage, d’éclaircissement, en termes de renouvellement forestier, de biodiversité, etc.
Depuis quelques années, l’usage des outils immersifs s’est développé dans l’enseignement agricole. De nombreux établissements disposent ainsi de simulateurs de conduite d’engins agricoles, forestiers, etc. Principalement, car les apprenants de l’enseignement agricole sont moins souvent issus du milieu agricole, mais aussi parce que les règles de sécurité se sont renforcées. Ces outils permettent de placer des apprenants ou des professionnels en formation dans des situations qu’ils n’auraient que peu rencontrées dans la réalité : un tracteur dans une pente, un enjambeur dans une vigne vallonnée, des situations dégradées, voire des accidents.
Par exemple l’EPLEFPA de Beaune (« La Viti de Beaune ») dispose de 8 simulateurs de tracteurs enjambeurs de vigne avec également un poste de pilotage pédagogique grâce auquel le formateur peut injecter des scénarios pédagogiques de différents travaux de la vigne, en ajoutant une pente, un dévers, etc. Ce qui permet de placer des jeunes dans diverses situations simulées. Les séquences sont enregistrées pour permettre l’analyse de ce qu’il s’est passé, donc de faire des feedbacks. Les temps de debrief des séances de simulation sont en effet essentiels, considérant qu’on ne développe la compétence qu’une fois qu’elle est explicitée et comprise, pas seulement exercée en situation réelle ou simulée.
Ce type d’équipement existe aussi dans d’autres établissements de l’enseignement agricole, à chaque fois avec la même volonté de permettre d’augmenter les situations d’apprentissage et de les rapprocher le plus possible de la réalité, ces outils ne se substituant évidemment pas aux situations réelles en stage ou en entreprise d’alternance.
Un autre exemple, plus récemment une entreprise (Studio Nyx) a déposé un projet (VINUM), lauréat d’un appel à projet national, pour achever le développement et le déploiement leur e-cab (engin de simulation de conduite d’engins). Ce projet intègre également le développement d’un simulateur de taille de la vigne.
Ce geste de la taille est en effet extrêmement engageant. Avec le réchauffement climatique et les maladies, la taille est plus déterminante que jamais sur la qualité et quantité de récolte ainsi qu’en termes de conséquences sanitaires, donc de risques. Difficile ainsi de laisser un novice tailler une vraie vigne compte tenu de ces différents risques. A cela s’ajoute le fait que les entreprises viticoles, en Bourgogne Franche-Comté comme dans d’autres vignobles, sous-traitent beaucoup la taille de la vigne. Il faut donc former des salariés, qui peuvent être novices dans ce domaine, sachant qu’on ne peut pas toujours les placer immédiatement en situation réelle.
Studio Nyx est donc en cours de développement d’un nouveau simulateur basé sur un modèle de croissance végétale étayé par la recherche scientifique. Les utilisateurs de ce type d’outils interviennent sur un pied de vigne simulé, ils peuvent constater les conséquences à terme de leur taille, ce qui représente une forte complexité de conception d’outil.
Un troisième sujet d’avenir mobilise certains établissements d’enseignement agricole spécialisés en agroéquipements, particulièrement concernant la maintenance d’engins agricoles. Les engins agricoles sont en effet devenus très sophistiqués. Dans les établissements il est donc difficile de disposer en permanence de la dernière technologie. De plus un constructeur peut avoir quelques réticences à proposer à un novice en stage de démonter la boite de vitesse d’une moissonneuse batteuse qui coute 400 000 €. La virtualisation d’engins et de leurs organes permet aux apprenants d’être immergés dans ces équipements, par exemple dans une boite de vitesse ou dans un moteur, et de leur permettre de constater visuellement leur fonctionnement, de simuler et de visualiser des pannes mais également les conséquences de leurs interventions.
De la même façon, il n’est pas toujours simple de visiter une usine agro-alimentaire pour des raisons de sécurité ou de temps disponible. Des visites virtuelles d’entreprises ont donc été également développées.
L’immersif est également utilisé pour la découverte des métiers et formations de l’enseignement agricole, donc pour en renforcer l’attractivité.
D’une manière générale avec le numérique en formation, nous pouvons être confrontés à deux écueils : d’un côté ceux qui disent « le numérique va tout résoudre », de l’autre, ceux qui sont réfractaires à tout usage de ces outils.
Dans tous les cas, le déploiement des outils se fait donc avec succès lorsqu’ils apportent une valeur ajoutée aux enseignants et formateurs. L’usage des simulateurs permet donc à des apprenants de se former, y compris en sécurité. Les formateurs peuvent construire des scénarios pédagogiques. Les deux acteurs peuvent donc en tirer une plus-value. L’adhésion des équipes de formation à ce type d’outils se fait donc de cette façon, les équipes de direction des établissements le savent parfaitement.
Spécifiquement en formation pour adulte et en apprentissage, les formateurs ont souvent d’autres expériences professionnelles, ils voient souvent encore mieux la valeur ajoutée de ces outils. Quoi qu’il en soit, ces outils ne remplacent naturellement pas les cours, ni les périodes en milieu professionnel ; ils sont complémentaires et peuvent permettre de franchir rapidement et en sécurité des étapes de développement de compétences.
Leur déploiement est un peu l’équivalent du moment où des ordinateurs ont été intégrés dans l’enseignement. Le succès de ces projets repose sur la capacité des équipes de direction des établissements à embarquer un collectif de formateurs sur une question, un problème sur lequel ils se sont mis d’accord ainsi que sur la manière de les associer à la conception des outils.
Dans Silva Numerica par exemple, comme à la « Viti de Beaune », des enseignants et des formateurs ont été associés à la conception des outils, ce qui renforce évidemment leurs taux d’opportunité et d’usage, ces formateurs pouvant ensuite devenir des ambassadeurs auprès d’autres établissements et équipes pédagogiques. Quand ce sont des formateurs qui expliquent à d’autres formateurs, ça fonctionne mieux en effet.
Quelle est votre stratégie en matière de déploiement des technologies immersives ?
Nous ne pouvons dire que nous disposons d’une stratégie nationale spécifique et affichée sur le développement de ces outils immersifs dans l’enseignement agricole, même si évidemment l’usage du numérique en formation est encouragé, notamment en valorisant les innovations et les innovateurs. Les projets de cette nature viennent souvent davantage du local. Evidemment dès que nous le pouvons, nous intervenons en appui des porteurs de projets. De grands appels à projets existent également pour co-financer ces projets (Deffinum, appels à manifestation d’intérêts « compétences et métiers d’avenir », etc.), souvent assez onéreux en développement et formation de formateurs. Personnellement, j’interviens également parfois devant des collectifs pour expliquer l’intérêt d’utiliser des simulateurs en formation : partir du contexte et des problèmes que les formateurs rencontrent, à quoi peuvent leur servir les outils immersifs et comment les utiliser.
Vis-à-vis des apprenants, l’objectif n’est pas de leur faire plaisir ni de s’appuyer sur l’hypothèse qu’ils apprécieraient bien les « nouvelles technologies ». C’est surtout parce que les situations professionnelles sont complexes et qu’on peut difficilement former sans avoir mis les gens en situation réelle ou approchée qu’il faut utiliser ces technologies.
Ce sont des outils complémentaires. Dans nos établissements, nous disposons d’exploitations agricoles ou des « mini-usines agroalimentaires » qui nous permettent des mises en situation réelles mais plus difficilement dégradées ou accidentelles. Avec l’immersif les apprenants peuvent être placés dans ses situations qu’ils ne rencontreront que rarement dans la réalité, mais qu’il est important néanmoins de maîtriser (situation nouvelle, voire dangereuse, etc.).
Il faut aussi remarquer parfois une réaction « négative » d’apprenants vis à vis du numérique, peut-être à relier à des problématiques écologiques mais également à un phénomène de saturation. Pendant la crise sanitaire les usages des outils et ressources numériques ont évidemment énormément augmenté, actuellement nous nous rendons compte que ces usages chutent, certains nous communiquant leur déception, notamment sur leurs facilités d’usages.
Il est difficile de projeter comment vont évoluer les usages des outils immersifs mais je pense que si on ne part pas des « problèmes pédagogiques », c’est-à-dire des formateurs, et si on ne les étaye pas d’un discours clair et scientifique, ils seront peu utilisés. Il est avant tout nécessaire de démontrer l’efficacité de ces outils, aux apprenants comme à tous les autres acteurs du champ de la formation initiale et continue, et d’associer les « pédagogues » à leur conception.
Comment voyez-vous le monde de la formation dans 20 ans ?
Il y a beaucoup de travaux de prospective sur le numérique, à notre connaissance peu sur le champ de la formation professionnelle. Peut-être parce qu’il reste très marqué par la forme scolaire conventionnelle mais aussi certainement parce que les innovations, bien plus nombreuses qu’on le pense spontanément, se font au niveau des classes, elles ne sont pas très visibles.
Lorsque nous échangeons avec des formateurs ou des personnels de direction il est flagrant que certains phénomènes sociétaux, par exemple comme les difficultés d’attention des « jeunes », peuvent générer de grandes difficultés pour les enseignants et formateurs. Il faut sans cesse donner du rythme aux activités pédagogiques, alterner les situations d’apprentissage, diversifier les outils et les ressources. Le numérique, y compris immersif, peut contribuer à faire évoluer les pratiquer et à les enrichir. En revanche, je ne crois pas que dans 20 ans l’enseignant ou le formateur sera remplacé par un avatar dans un espace virtuel !
Dans 20 ans, on peut cependant espérer avoir avancé sur l’hybridation de la formation. Il y a une très bonne étude sur l’enseignement supérieur, Hy Sup, qui montre que plus on va vers des modèles hybridés, plus l’efficacité de l’apprentissage est forte.
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