Interview : Projet Cap'rev
Entretien avec Fabrice Hennion, Directeur délégué à la formation professionnelle et technologique au Lycée régional du bâtiment de Nice, et Pierre-Alain Lamand, Directeur du développement au GIP FCIP de Lille.
Pouvez nous expliquer ce qu’est le projet Cap’rev ?
Le projet Cap’rev s’inscrit dans la promotion et la formation des métiers de la rénovation énergétique des bâtiments. Il s’agit de développer des modules en réalité virtuelle ou augmentée qui permettront de pratiquer des gestes techniques et professionnels. En détaillant les différents référentiels de certification des métiers du bâtiment et de la rénovation énergétique, il nous est apparu qu’il serait intéressant d’utiliser ces technologies pour pratiquer les gestes techniques essentiels à ces métiers. Les utilisateurs n’apprendront pas seulement des gestes techniques mais également de sécurité.
Comment avez-vous déterminé les gestes et contenus des différents modules ?
Il y a 3 ans, nous avons lancé des groupes de travail avec des enseignants des différentes filières énergétiques que nous avions dans l'Académie de Lille. Il y avait, notamment, des maçons gros œuvre, des peintres, des carreleurs, des chauffagistes, des climatiseurs, etc. Nous avons également intégré des personnes qui travaillaient sur la sécurité des chantiers afin de couvrir l’ensemble des champs des référentiels de certification pour lesquels nous pensions proposer des modules immersifs.
Comment pensez-vous utiliser ces modules ?
Nous avons souhaité proposer trois types de modules différents. Il y a, tout d’abord, les modules « Débutant ». L’apprenant va se former à un geste grâce à un pas à pas extrêmement détaillé. Viennent ensuite les modules « Intermédiaire ». Cette fois-ci, un avatar ou des textes vont accompagner l’apprenant à gagner en autonomie. Enfin, les modules « Expert » qui mettent l’utilisateur dans des situations, en réalité virtuelle évidemment, où il va devoir faire face à des anomalies, des erreurs.
L’objectif de ces modules est-il de remplacer la formation « classique » ?
Non, pas du tout. Nos modules en réalité virtuelle ne remplaceront jamais la pratique réelle du geste métier et, surtout, l’accompagnement des apprenants par un enseignant. En revanche, le premier objectif de ce projet est de proposer un outil pédagogique supplémentaire aux enseignants et formateurs. C’est une innovation qui va apporter une énergie nouvelle, un « vent frais » à l’apprentissage de ces métiers. Le deuxième objectif est de pouvoir identifier des candidats potentiels pour ces métiers en tension. Grâce à ces modules et à différents outils analytiques, nous pouvons déterminer si des personnes en phase de réemploi, de validation des acquis professionnels ou en transition professionnelle, ont une appétence pour les métiers du bâtiment. Nous avons d’ailleurs travaillé avec France Travail à l’élaboration d’un parcours spécifique, centré sur 3 gestes priorisés. C’est une approche que nous pensons très innovante et qui devrait permettre de réduire, au moins un peu, le déficit de candidats pour ces métiers.
Travaillez-vous sur d’autres types d’innovations numériques en matière de formation ?
Nous travaillons également sur quelque chose qui est en train de se développer dans le bâtiment : les jumeaux numériques. Un jumeau numérique reproduit à l’identique un lieu, une installation. Il ne s’agit pas uniquement de la disposition des murs et des équipements mais aussi de simuler de façon réaliste la réaction des matériaux, la consommation énergétique, différentes données qui permettent de pousser la simulation dans ses retranchements… C’est totalement complémentaire avec les technologies immersives. Nous avons deux projets allant dans ce sens. Le premier servira à mettre en avant un geste technique ancestral : la technique du pisé. C’est un partenariat avec la Chartreuse de Neuville et les Architectes des Bâtiments de France. Ce monument est en pleine rénovation et souhaite créer une salle aménagée au pisé. Nous allons produire un module qui comprendra ce geste technique et le jumeau numérique de la Chartreuse de Neuville.
Nous travaillons également sur un second jumeau numérique qui, lui, sera assisté par une Intelligence Artificielle. Nous le développons avec le CNAM de Nice et le CNAM de Toulon. Ce module sera proposé à des élèves en BAC Pro Assistants Architectes et Economie de la Construction. L’objectif est de leur faire choisir les isolants et matériaux de construction les mieux adaptés à la qualité du sol, au climat et à différentes données qui seront disponibles dans le jumeau numérique, en fonction des instruction données par leurs enseignants.
Est-ce que ces modules auront une fonction certifiante ?
Chaque module se conclue sur une évaluation qui traduira les compétences acquises par les apprenants en rapport avec les référentiels de certification. En revanche, ils ne seront pas certifiants au sens RNCP du terme mais donneront accès à des Open Badges. Cette micro-certification facilitera l’accès à des formations plus avancées mais pas, directement, à un emploi.
Cap’rev est un projet qui demande de nombreuses compétences. Qui sont vos partenaires sur ce projet ?
En effet, ce projet demande de nombreuses expertises. Nous travaillons, notamment, avec Hachette Technique qui a créé la plateforme qui va être permettre aux apprenants de se corriger et de consulter les documents émis après chaque session en réalité virtuelle. Il y a également Mimbus qui s'occupe de la partie technique avec Monsieur Da Dalto et Nicolas Lefebvre pour la partie open badge. Il ne faut pas oublier Christian Cousquer, du CNAM, Gégory Maubon, expert en réalité augmentée, et Thierry Koscielniak, Directeur Numérique à l’ENSAM et Président de France Immersive Learning.
A ce jour, quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées ?
Initialement, Cap’rev s’inscrivait dans l’appel à projets Défi Num de France 2030. C’était un partenariat avec l'Académie de la Réunion qui travaillait également sur les jumeaux numériques, mais côté industrie. Malheureusement, notre projet n'a pas été retenu. Nous avons donc décidé de le financer intégralement avec les fonds du CFA académique et le GIP. C'est un coût important que nous lisserons sur 4 ans car il s’agit d’un budget d’environ 1,2 millions d’euros. Nous allons devoir trouver un modèle économique pour monnayer ce produit qui répond, nous le savons, à de nombreux enjeux stratégiques de métiers qui ont du mal à recruter et recherchent des outils pédagogiques innovants.
L’adoption de nouvelles modalités pédagogiques est parfois difficile pour les enseignants. Comment comptez-vous assurer le succès de Cap’rev ?
L’un des points forts de nos modules, c’est qu’ils sont conçus avec les corps d'inspection de l'Education Nationale et des professeurs experts des différentes disciplines. Cela va nous permettre d'essaimer plus facilement car les collègues se laisseront plus facilement convaincre par un produit qui est propre à l'institution.
De plus, Cap’rev n’est pas un outil de plus. Nous avons réfléchi à des séquences pédagogiques complètes incluant la réalité virtuelle ou la réalité augmentée. Les modules en réalité virtuelle ou augmentée sont suivis de TP qui correspondent à ce qui a été pratiqué en virtuel. À ma connaissance, nous sommes très peu, si ce n’est les seuls, à proposer ce type d’expérience.
Un autre aspect innovant de Cap’rev , bien que cela soit beaucoup plus classique, c’est son aspect ludique pour des apprenants dont les futurs métiers sont, au quotidien, très éloignés de la réalité virtuelle et du numérique. Dans le bâtiment, quand on fait de la pose au pisé ou de la pose de torchis, c’est tout sauf virtuel. Mais grâce à notre dispositif immersif, ils vont pouvoir répéter ce geste à loisir, se corriger et gagner en compétence. C’est pour cela que nous pensons inclure des retours haptiques et de l’Intelligence Artificielle pour accroître l’aspect ludique et motivant des modules. Nous allons leur expliquer que, par exemple, qu’à 75%, 78% ou 85% de réussite, ils décrocheront leur badge. A 90%, ils feront partie du Top X et à 100%, ils seront les champions !
Ce type de défis, cet aspect ludique, peut motiver des élèves en lycée pro qui ne sont pas les plus enclins à ouvrir un cahier ou un livre le soir. Nous avons prévu des QR codes qui permettront de consulter ses résultats et des conseils pour améliorer ses performances.
Pour nous, c'est aussi un moyen de communiquer de façon innovante sur les métiers du bâtiment qui, reconnaissons-le, ne sont pas les plus courus par les jeunes. Nous pensons que proposer ce type d’innovations numériques immersives participera à l’attractivité de la filière. C’est le parti pris du Gif FCIP de Lille.
Avez-vous déjà intégré le retour haptique dans ce parcours immersif ?
Pour l’instant, nous en sommes encore au stade de projet. Intégrer l’haptique a un véritable coût et c’est aussi relativement complexe. Nous avons participé à Laval Virtual et quand on voit la technologie qui est déployée maintenant, il est évident que nous sommes au prémices de quelque chose qui va faire bouger les lignes. Il y avait une société qui proposait déjà des outils qu'on pouvait adapter sur les manettes des Quest 2 et Quest 3. Néanmoins, c’est une technologie qui est en train de se démocratiser et d’évoluer. Il y a deux ans, lorsqu’on parlait de retour olfactif, tout le monde disait que c’était impossible. Or, cette année, plusieurs société en faisait la démonstration à Laval Virtual... C’est pourquoi il me parait important de prévoir du retour haptique sur des gestes techniques particuliers, comme la pose de torchis ou au pisé. Sachant que le développement de Cap’rev va s'étaler sur 4 ans et que les technologies évoluent à une vitesse hallucinante, nous avons décidé de garder ces questions pour la fin du développement, prévue en 2026.
Outre la répétabilité des opérations, y-a-t-il un enjeu concernant le coût des matériaux et la disponibilité des espaces dans l’utilisation de la VR ?
C’est évident. Si l’on prend l’exemple du projet de la Chartreuse de Neuville, tous les étudiants ne pourront pas travailler sur le bâtiment. Il en va de même pour le module couvreur. Il serait impossible de reproduire à l’infini le scénario pédagogique dans un véritable atelier. Grâce à la VR, ils vont apprendre directement à travailler en hauteur. Pour ce qui est des matériaux, l’économie sera aussi substantielle. Nous l’avons déjà constaté avec notre dispositif immersif pour les soudeurs. Le geste est d'abord appris et analysé en réalité virtuelle, ce qui permet aux établissements d'acheter beaucoup moins de baguettes de soudure. Il y a un réel intérêt à utiliser ces outils pour l'initiation au geste avant de passer à la pratique. Pareil pour la sécurité. Nous avons toujours un premier module sécurité. Nous pouvons former à toutes les normes de sécurité du travail en hauteur, simuler des conditions climatiques particulières ou un camion qui recule parce que le chantier a été mal balisé. Nous allons bien au-delà de ce qu'on peut faire dans un atelier.
Avez-vous pensé à vous rapprocher d’organismes comme les Compagnons du Devoir pour mutualiser les coûts d’un tel projet ?
Nous représentons l'Académie de Lille. Nos partenaires sont des enseignants de l'Education Nationale. Nous ne sommes pas sectaires mais nous souhaitons que notre travail réponde aux attentes du personnel de l’Education Nationale. Si nous avions travaillé avec d’autres institutions, comme les Compagnons du Devoir, nous aurions dû avoir une approche différente. Rien ne dit qu’elle aurait comprise au sein de l’Education Nationale. En revanche, lorsque nous aurons bouclé le projet, nous ne nous interdisons pas de le proposer à d’autres organismes de formation.
L’intérêt d’un tel dispositif est évident mais n’aurait-il pas été plus rentable de l’acheter sur étagère ?
C’est une question que nous nous sommes posés. L’intérêt de faire développer ce projet spécifiquement pour l'Académie de Lille et la Région Académique des Hauts-de-France est qu’en réalité c’est beaucoup plus rentable que d’acheter des licences pour chaque établissement. De plus, nous serons propriétaires de la solution et ne dépendrons pas d’un éditeur tiers. Enfin, comme ce projet est conçu avec Sandrine Mikaj, en charge des métiers du Gros Œuvre et Travaux Publics, son adoption par les enseignants sera beaucoup plus rapide.
Savez-vous déjà comment vont s’organiser les séances de formation lors du déploiement à grande échelle ?
C’est une partie du travail que nous commençons en juin 2024. Pendant 2 mois, avec nos partenaires éducatifs, nous allons réfléchir à la meilleure solution pour déployer ce dispositif. Pour l’instant, nous tablons sur 3 ou 4 casques par classe afin que les autres élèves ne soient pas laissés sur le banc, sans activité. Nous allons déterminer ce que le professeur peut leur faire faire qui s’intégrerait dans sa progression pédagogique. C’est un travail assez complexe mais indispensable pour le succès de l’initiative car ce n’est pas forcément naturel pour un enseignant de travailler avec la réalité virtuelle.
Comment comptez-vous accompagner les enseignants dans l’adoption et le déploiement du dispositif ?
Nous avons prévu des formations de formateurs qui vont être déployées sur l’ensemble du territoire. Evidemment, dans le cahier des charges du dispositif, nous avons inclus de nombreux didacticiels qui sont développés par Mimbus. Ce sont également ses équipes qui seront en charge du déploiement du premier module sur la sécurité. Nous prévoyons 2 à 3 jours de formation sur site. Une fois formés à la pédagogie, aux gestes et, en partie, à l’aspect technique, les enseignants pourront mettre en application avec leurs classes. Nous prévoyons également quelques ajustements après les premières sessions en conditions réelles.
Avez-vous d’autres projets intégrant les technologies immersives ?
Oui, nous avons d’autres projets sur les métiers de la vente, par exemple. Les modules disponibles actuellement se déroulent souvent dans des surfaces de vente et quasiment jamais dans une boulangerie, une parapharmacie, l’accompagnement à la personne... Nous pensons utiliser l’IA pour proposer des interactions difficiles à reproduire dans une salle de cours. Grâce aux technologies immersives, nous pourrons jouer sur les environnements.
Nous comptons également développer des jumeaux numériques pour l'industrie 4.0 sur des thématiques comme la soudure pour l’aéronautique, la peinture sur carrosserie,…
Avez-vous déjà un retour sur l’impact de ce dispositif auprès des élèves ?
C’est une génération qui baigne dans les technologies numériques et ils sont surpris par la qualité de nos productions car nous avons porté beaucoup de soin à la qualité graphique et sonore. Les modules ont des graphismes proches de ceux de jeux comme Assassin's Creed. Lorsque nous l’avons fait tester à des collégiens, dans le cadre de dispositif d’orientation, ils étaient bluffés et prêts à rester avec nous pendant 3 jours. Ce n’est, évidemment, pas l’objectif mais c’est la preuve incontestable que nous allons dans la bonne direction.
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